Etude comparative sur l'aide à la reduction de la pauvreté: Le
    cas de le France
    Lionel de Boisdeffre  
    Référence bibliographique: Boisdeffre, L. de. 1996. Etude comparative
    sur l'aide à la reduction de la pauvreté: Le cas de le France. Paris: DIAL.  
     
    SOMMAIRE
    1. La stratégie française de lutte contre la pauvreté  
      - 1.1 Place de l'aide française au sein des pays du CAD 
 
      - 1.2 Organisation institutionnelle de l'aide française 
 
      - 1.3 Les principales orientations de l'aide française 
 
     
    2. La gestion des actions contre la pauvreté à travers les
    programmes par pays 
    3. La lutte contre la pauvreté à travers l'aide financière 
    4. La réduction de la pauvreté à travers l'aide projet  
      - 4.1 L'aide aux initiatives productives de base (AIPB) 
 
      - 4.2 Les systèmes financiers décentralisés 
 
      - 4.3 Le Fonds Social de Développement 
 
     
    5. Autres canaux de la lutte contre la pauvreté  
      - 5.1 Le développement local 
 
      - 5.2 La décentralisation 
 
      - 5.3 La coopération décentralisée 
 
      - 5.4 L'appui aux ONG 
 
     
    6. Conclusion  
      
     
    1. La stratégie française de lutte contre la pauvreté
    L'aide française se distingue par son caractère généraliste. Elle ne semble pas
    guidée par une approche globale clairement définie et les institutions qui la gèrent
    interviennent de manière dispersée. En matière de pauvreté, aucune stratégie
    spécifique n'a encore été élaborée. Pour en comprendre les raisons il convient de
    rappeler brièvement les caractéristiques quantitatives (1) et institutionnelles (2) de
    l'aide française, avant d'en dégager les principales orientations (3).  
    1.1 - Place de l'aide française au sein des contributions du CAD
    Au troisième rang des contributions des pays du Comité d'Aide au Développement de
    l'OCDE (CAD), l'aide française s'inscrit dans la continuité de relations historiques
    d'Etat à Etat, que traduisent la priorité africaine, d'une part, l'importance de l'aide
    bilatérale et de la coopération technique, d'autre part.  
    Ainsi, en 1994, l'aide française s'élevait à 8,45 milliards de dollars, derrière
    celles du Japon (13 milliards) et des Etats-Unis (10 milliards). En termes de pourcentage
    du PIB (0,64%), elle se situait au cinquième rang mondial, derrière la Norvège, le
    Danemark, la Suède et les Pays-Bas. Sur les 36,7 milliards de francs d'aide bilatérale,
    l'Afrique totalisait 22,1 milliards.  
    Quoique déclinante (27% de l'aide publique en 1992 contre 37% en 1986/87), la part de
    l'aide destinée à la coopération technique reste supérieure à la moyenne du CAD (de
    21% en 1992) et doit être rapprochée de la place accordée à l'éducation et à la
    culture dans la coopération française. L'aide sectorielle décline comme dans les autres
    pays du CAD, au bénéfice de l'aide programme et du réaménagement de la dette.  
    Répartition de l'aide française par secteurs et par instruments
    
      
        |   | 
         
        1981/82
  | 
         
        1991/92
  | 
        Moyenne du CAD (1990/91)  | 
       
      
        | Infrastructures sociales et services  | 
        49,5%  | 
        33,1%  | 
        20,6%  | 
       
      
        | dont Investissements et services éducatifs  | 
        27,1%  | 
        23,6%  | 
        9,2%  | 
       
      
        | dont Santé | 
        10,1%  | 
        3,0%  | 
        2,6%  | 
       
      
        | Infrastructures économiques et services  | 
        13,2%  | 
        14,0%  | 
        17,6%  | 
       
      
        | Secteurs de la production  | 
        21,4%  | 
        12,6%  | 
        12,1%  | 
       
      
        | dont Agriculture | 
        7,8%  | 
        7,7%  | 
        7,1%  | 
       
      
        | Destination pluri-sectorielle  | 
        3,7%  | 
        6,0%  | 
        3,0%  | 
       
      
        | Aide programme | 
        5,4%  | 
        15,0%  | 
        11,7%  | 
       
      
        | Réaménagement de la dette  | 
        2,0%  | 
        7,8%  | 
        18,1%  | 
       
      
        | Aide alimentaire  | 
        0,4%  | 
        0,5%  | 
        3,2%  | 
       
      
        | Aide d'urgence | 
        0,5%  | 
        0,4%  | 
        3,3%  | 
       
      
        | Concours aux organismes privés bénévoles  | 
        -  | 
        0,2%  | 
        1,2%  | 
       
      
        | Autres | 
        3,9%  | 
        10,4%  | 
        9,3%  | 
       
      
        | Total | 
        100%  | 
        100%  | 
        100%  | 
       
     
    Source: CAD  
    La part de l'aide française versée au système des Nations-Unies (2% en 1992) et,
    plus généralement, celle de l'aide multilatérale (23%) est bien inférieure à la
    moyenne du CAD (respectivement de 7,7 et 30%). En pourcentage du PIB, l'aide
    multilatérale française s'inscrit, toutefois, dans la moyenne des pays du CAD. L'aide
    publique française est, enfin, moins concessionnelle (70% de dons contre 80%, en moyenne,
    pour le CAD), moins intermédiée par les ONG et plus liée (52% de l'aide est liée
    contre une moyenne de 33% pour le CAD) que celle des principaux donateurs.  
    1.2 - Organisation institutionnelle de l'aide française
    Cette organisation combine trois composantes: les bénéficiaires, les outils et les
    acteurs.  
    Les bénéficiaires se scindent, outre les Territoires d'Outre-Mer (TOM), entre les
    « pays du champ » du Ministère de la Coopération, traditionnellement au
    nombre de 37, situés pour la plupart en Afrique francophone, et les pays « hors
    champ », qui échappent à la compétence de ce ministère. Cette compétence a
    été étendue , en mai 1995, à l'ensemble des pays ACP (Afrique, Caraïbes, Pacifique),
    en même temps que le ministère passait sous la tutelle des affaires étrangères, et à
    l'Afrique du Sud en 1996. Le champ d'intervention de la Caisse française de
    développement a été élargi de la même manière, mais s'étend au-delà des pays ACP
    (voir infra).  
    Les trois outils principaux de l'aide française sont la coopération technique, le
    financement de projets d'investissement et le financement hors projets, ou « soutien
    économique et financier »: aide à la balance des paiements, consolidations et
    annulations de dettes, aide alimentaire, aide à l'ajustement structurel...  
    Enfin, les acteurs de la coopération sont, outre les ministères techniques
    concernés, ceux de la Coopération (MC), des Affaires Etrangères (MAE), de l'Economie
    (ME), des Dom-Tom (MDTOM) et la Caisse Française de Développement (CFD).  
    Le CAD décrivait en ces termes, avant la réorganisation de 1995/96, le partage des
    attributions en fonction de ces trois composantes dans la « série des examens en
    matière de coopération pour le développement, France 1994 » de l'OCDE:  
    « Le MC est responsable de la coopération financière et technique avec les
    pays "du champ", où il est représenté par des missions de coopération et
    d'action culturelle auprès des ambassades de France. L'aide financière hors projet pour
    ces pays, notamment pour l'ajustement structurel de leurs économies, est gérée
    conjointement par le MC et le ME, ce dernier étant représenté par la Direction du
    Trésor. La CFD intervient aussi dans les pays "du champ", où elle est
    représentée par ses agences, et finance des projets d'investissement productif, tandis
    que le MC finance des projets d'infrastructure économique et sociale via le Fonds d'aide
    et de coopération (FAC). D'autres ministères spécialisés interviennent dans les pays
    "du champ" pour des actions de coopération technique, souvent par
    l'intermédiaire d'instituts spécialisés sous leur tutelle.  
    « Concernant les pays "hors champ", la DGRCST du MAE (Direction
    générale des relations culturelles, scientifiques et techniques) est chargée de la
    coopération technique (dont les programmes sont conçus et gérés par la Direction de la
    coopération au sein de la DGRCST). L'aide financière aux pays "hors champ" est
    administrée par la Direction du Trésor au ME. La CFD a été autorisée récemment à
    intervenir dans certains pays "hors champ" (Indochine, Ethiopie, Erythrée) pour
    financer des projets productifs, en plus des pays du Maghreb où elle est déjà établie
    comme institution d'aide. D'autres ministères interviennent aussi dans les pays
    "hors champ", suivant leur spécialité, avec des mesures de coopération
    technique.  
    « Le soutien aux TOM est géré et coordonné par le ministère des DOM/TOM;
    la CFD et les ministères spécialisés interviennent aussi dans ces territoires. »
     
    Répartition de l'aide hors TOM par structure de financement en 1991
    
      
        |   | 
        Aide totale (y c. multilatérale)  | 
        Aide bilatérale  | 
       
      
        | Ministère des Finances  | 
        55%  | 
        42%  | 
       
      
        | Ministère de la Coopération  | 
        15%  | 
        21%  | 
       
      
        | Caisse Française de Développement  | 
        9%  | 
        12%  | 
       
      
        | Ministère des Affaires Etrangères  | 
        9%  | 
        9%  | 
       
      
        | Autres | 
        12%  | 
        16%  | 
       
      
        | Total | 
        100%  | 
        100%  | 
       
     
    Source: Conseil Economique et Social  
    
    La multiplicité des intervenants induit une certaine complexité, qui nuit à la
    définition et à la mise en oeuvre d'une politique globale répondant à des objectifs
    clairement définis. D'où l'effort d'harmonisation de ce système:  
    à travers la création, consécutive au Sommet franco-africain de La Baule (1990),
    d'un Comité d'Orientation et de Programmation (C.O.P.), qui réunit, sous la présidence
    du Ministre de la Coopération, les représentants des Ministères de la Coopération, de
    l'Economie, des Affaires étrangères et de la Caisse Française de Développement et vise
    à coordonner l'aide et à assurer la cohérence globale de la politique de coopération
    dans les pays « du champ »;  
      - à travers une concertation permanente entre les représentations de la Caisse
        Française de Développement et du Ministère de la Coopération dans ces pays, lesquelles
        élaborent en commun des orientations triennales glissantes (dites « orientations à
        moyen terme » ou « OMT ») pour leurs programmes pays. Dans les pays
        « hors champ », la coordination est menée au cas par cas par les
        administrations concernées, notamment le Trésor et le Ministère des Affaires
        Etrangères; 
 
      - à travers la création (décidée en février 1996) d'un Comité Interministériel de
        l'Aide au Développement (CIAD), qui doit réunir, au moins une fois l'an, sous la
        présidence du Premier Ministre, tous les ministres concernés, pour définir les
        orientations de l'aide publique au développement (APD), dans ses aspects tant bilatéraux
        que multilatéraux, et approuver un rapport annuel sur l'évaluation et l'efficacité de
        l'APD. Cette coordination interministérielle sera étendue aux administrations. 
Ces
        mesures s'inscrivent dans la réorganisation du dispositif d'aide, engagée depuis les
        élections présidentielles de 1995. Cette réorganisation vise à faire de l'aide
        française une composante prioritaire de la politique extérieure (d'où la nouvelle
        tutelle du Ministère des Affaires Etrangères sur celui de la Coopération), à
        harmoniser, clarifier et rationaliser les interventions, en renforçant les synergies et
        l'efficacité du dispositif. S'il est trop tôt pour en évaluer l'impact et l'effet
        unificateur, cette réforme, qui semble hésiter dans les méandres institutionnels,
        n'apparaît finalisée ni dans sa mise en oeuvre, ni dans ses orientations. Une
        illustration en est l'élargissement à mi-parcours du « champ » du Ministère
        de la Coopération: seul le Ministre a actuellement compétence sur les pays ACP,
        à l'exclusion des services du Ministère; qui plus est, le Fonds d'Aide et de
        Coopération (FAC), principal instrument du Ministère pour le financement des
        investissements, n'est pas habilité pour l'instant à intervenir dans les pays ACP
        situés en dehors du champ traditionnel.  
        1.3 - Les principales orientations de l'aide française
        Ces orientations ont un caractère général. Elles s'organisent autour de trois axes
        traditionnels, le développement humain, le développement productif et le développement
        culturel, auxquels se sont ajoutées, selon le mémorandum de la France au Comité d'Aide
        au Développement pour l'année 1992, trois priorités nouvelles: l'environnement, le
        développement institutionnel et la lutte contre la pauvreté.  
        « Notre coopération en matière de lutte contre la pauvreté, précise ce
        rapport, est fondée sur une approche privilégiant l'aide aux pays les plus pauvres,
        plus précisément aux PMA africains. Elle soutient principalement les actions contribuant
        à accroître la capacité des plus démunis à promouvoir leur propre développement
        (éducation, santé, accès au crédit et aux terres...). L'accent est également mis sur
        les actions en faveur de la démocratisation politique mais aussi économique
        (développement participatif, décentralisation, participation des femmes au développement).
         
        « En tout état de cause, l'ensemble des projets engagés et soutenus par
        l'aide publique au développement française concourent, d'une manière ou d'une
        autre, à la réduction de la pauvreté ».  
        Mais au-delà de ces aspects généraux, la lutte contre la pauvreté ne s'affirme
        concrètement qu'à travers quelques programmes épars, allant de la coopération de
        proximité à la mise en place de nouveaux instruments financiers (voir chapitres 4 et 5).
        Ces programmes ne constituent en eux-mêmes ni une approche globale, ni une stratégie.
        L'examen des mécanismes et procédures d'attribution de l'aide révèle au contraire
        qu'aucune institution gérant l'aide française - Ministères de la Coopération, de
        l'Economie, des Affaires Etrangères, Caisse Française de Développement - n'a fait de la
        lutte contre la pauvreté un objectif à part entière et que "les pauvres"
        eux-mêmes, en tant que groupe social et concept économique, ne sont pas identifiés.
        Seules sont connues des formes de pauvreté, appelant des actions ciblées.  
        La priorité déclarée en matière de pauvreté, que ne confirment pas réellement les
        statistiques disponibles, procède donc plus d'un effet d'affichage que d'une orientation
        nouvelle et clairement définie dans ses objectifs, ses méthodes et ses moyens d'action.
        Ni concept défini, ni objet d'une stratégie organisée, ni critère d'attribution ou
        même de mesure de l'aide, la pauvreté, en tant que problématique spécifique, reste
        largement méconnue des institutions françaises. Elle n'apparaît donc pas comme un
        élément structurant de leur politique d'aide, laquelle s'organise davantage autour
        d'orientations macro-économiques ou sectorielles, que mettent en oeuvre des programmes
        décentralisés. Plus spécifiquement:  
       
      - en termes de stratégie, la lutte contre la pauvreté n'est que l'un des aspects d'une
        approche globale en faveur du développement, qui englobe l'efficacité économique et la
        justice sociale, mais aussi les relations extérieures et le développement institutionnel
        (les raisons possibles de cette spécificité française seront esquissées en
        conclusion); 
 
      - en termes de répartition géographique, l'Afrique sub-saharienne totalise quelques 60%
        de l'aide publique bilatérale. La part de l'aide s'adressant à des pays de faible revenu
        avoisine 40%. Mais cette proportion est plus élevée, en moyenne, au sein des pays du CAD
        (57,5% en 1993/94) et la répartition géographique de l'aide française repose sans doute
        davantage sur des considérations d'ordre historique et diplomatique que sur un critère
        de pauvreté; 
 
      - en termes de répartition sectorielle, l'analyse comparative entre les pays du CAD des
        flux d'aide ne témoigne pas d'une priorité française en matière de pauvreté, mais il
        faut reconnaître que les nomenclatures statistiques utilisées par les institutions
        nationales sont largement étrangères à cette problématique et ne permettent donc pas
        la mesure précise des flux affectés à la lutte contre la pauvreté. 
C'est donc sur
        la base d'estimations - contestées par l'administration française - que le PNUD a
        chiffré à 25,1% pour la France, dans son « Rapport sur le développement humain,
        1991 », la part de l'aide destinée aux besoins prioritaires du développement
        humain (éducation primaire, santé de base...), taux le plus faible - après l'Italie
        (22,4%) - des pays industrialisés, où la moyenne serait de 36,6%. En termes de
        pourcentage du PNB, l'aide française affectée à ces besoins prioritaires dépasserait
        toutefois assez largement la moyenne de ces pays (environ 0,05% contre une moyenne
        inférieure à 0,03%).  
         
        2. La gestion des actions contre la pauvreté à travers les programmes par paysPour
        la coopération française la réduction de la pauvreté repose sur le développement
        économique et non sur une stratégie propre et organisée. Faute d'apparaître comme un
        élément structurant de l'aide, la lutte contre la pauvreté ne s'affirme dès lors pour
        la France qu'à travers quelques actions ciblées, décrites aux chapitres 4 et 5. Les
        chapitres 2 et 3, relatifs à la programmation et à l'aide financière, lesquelles ne
        sont pas guidées par un objectif de pauvreté, n'appellent donc pas de développement
        substantiels dans le cadre de cette étude, qui se limitera au rappel de quelques
        caractéristiques essentielles. 
        En premier lieu, la programmation est marquée par une certaine dispersion des
        interventions, liée à l'éclatement institutionnel du système français d'aide au
        développement: la programmation se fait séparément pour chaque administration
        responsable, à l'intérieur d'une enveloppe votée au Parlement. Une budgétisation sur
        plusieurs années existe pour l'aide à l'investissement (FAC, protocoles du Trésor),
        mais la coopération technique est soumise à la règle de l'annuité.  
        Pour les pays « du champ », l'instrument de cohérence des programmes
        d'aide est constitué par les politiques sectorielles de l'administration centrale
        (politique de l'eau, de la forêt, de développement local, de lutte contre la
        désertification...). Celles-ci ne s'organisent pas autour du thème de la pauvreté mais
        d'orientations techniques évolutives (en matière d'environnement, de réforme
        institutionnelle, d'efficacité économique et sociale...) appliquées à un domaine
        d'action précis. Ces politiques sectorielles fixent ainsi les principes et
        recommandations qui se dégagent de l'expérience acquise à un moment donné et que
        doivent respecter les missions locales en matière de programmation et de propositions.
        Elles constituent un élément nouveau des orientations de l'aide, qui étaient auparavant
        fondées sur la nature des projets, puis des programmes. Les commissions mixtes
        bilatérales, où sont définies d'un commun accord les orientations de l'aide française
        dans un pays donné, sont devenues moins fréquentes (tri ou quadriennales et non plus
        annuelles) et portent désormais sur ces stratégies sectorielles, qui servent à
        l'élaboration - par les représentations locales de la Caisse Française de
        Développement et du Ministère de la Coopération - des orientations à moyen terme
        (OMT), cadre de cohérence commun aux programmes de ces institutions.  
        Au Ministère de la Coopération, un département spécifique prépare la
        « programmation Etat » (représentant 55% du FAC 1990), qui fixe les
        enveloppes des missions sur le terrain. A l'intérieur de ces enveloppes, les missions
        établissent, en concertation itérative avec l'administration centrale sur les aspects
        budgétaires, mais de manière largement décentralisée quant à l'initiative et à
        l'instruction des projets, leurs programmes annuels en fonction des OMT retenues. Les
        programmes inter-Etats et d'intérêt général (représentant respectivement 12% et 23%
        du FAC 1990) sont instruits par l'administration centrale elle-même.  
        Pour les pays « hors champ », la programmation se fait sur proposition du
        Ministère de l'Economie pour les actions d'investissement (protocoles du Trésor) et sous
        forme d'une enveloppe globale pour la coopération technique.  
        Au Ministère de l'Economie, ce sont les postes d'Expansion Economique de la DREE
        (Direction des Relations Economiques Extérieures) qui instruisent et suivent sur le
        terrain les projets financés sur protocoles du Trésor. Leur enveloppe globale est votée
        au Parlement. Sa répartition entre les pays évolue peu d'une année sur l'autre. En
        1995, l'Asie totalisait la moitié des financements, l'Amérique latine et l'Afrique 3 à
        4 % seulement. En réalité, la gestion des projets entre le Trésor et la DREE conduit à
        de fortes pesanteurs institutionnelles, qui s'ajoutent à des considérations d'ordre
        économique, social, financier ou diplomatique pour déterminer la répartition
        géographique et sectorielle des fonds. Celle-ci ne s'inscrit donc dans aucune stratégie
        définie de lutte contre la pauvreté. Egalement gérée par le Trésor, l'aide
        alimentaire française, de la compétence du Ministre de l'Economie, n'apparaît neutre ni
        économiquement ni politiquement: d'une part, cette aide est souvent utilisée comme
        levier d'une présence diplomatique ou commerciale dans les pays qui connaissent un
        déficit alimentaire; d'autre part, elle est marquée par quelques régimes de faveur ou
        d'exclusion. L'aide alimentaire française, destinée à fournir les marchés locaux, n'a
        donc pas pour objet unique de répondre aux besoins des pauvres, mais s'inscrit plutôt
        dans des relations d'Etats.  
        De la même manière, en aval des projets, chacune des institutions d'aide possède sa
        propre structure d'évaluation. Au Ministère de la Coopération, une « mission
        chargée des études, des évaluations et de la prospective (MEEP) » organise trois
        types différents d'évaluations annuelles: sectorielles, géographiques ou de politiques
        des moyens. Celles-ci ne se limitent pas à un contrôle technique et financier, mais
        recherchent les effets en termes de développement des actions auditées. Ces évaluations
        ne comprennent pas de composante systématique sur la pauvreté, alors qu'il existe, par
        ailleurs, des cadres sur des thèmes tels que l'environnement ou le rôle des femmes au
        sein des projets.  
        Au Ministère des Affaires Etrangères, un « Comité d'évaluation » existe
        au sein de la DGRCST. A la Caisse Française de Développement un « service
        Evaluations rétrospectives » audite des projets et programmes opérationnels. Au
        Ministère de l'Economie, la « cellule évaluation » du Trésor confie à des
        experts externes des audits par secteurs, par types d'aide, par pays bénéficiaires et
        par projets. Cette cellule anime également un groupe de travail comprenant les services
        d'évaluation du Ministère de la Coopération, du Ministère des Affaires Etrangères et
        de la Caisse Française de Développement, permettant un échange et une coordination des
        travaux. Mais aucune de ces structures n'a vocation à conduire des analyses d'impact en
        termes de pauvreté.  
         
        3. La lutte contre la pauvreté à travers l'aide financièreLe « soutien
        économique et financier », qui s'inscrit dans les relations d'Etat à Etat, vise
        davantage à restaurer les équilibres macro-économiques qu'à protéger les populations
        vulnérables. Hormis une priorité généralement donnée aux dépenses destinées aux
        populations, notamment celles de santé et d'éducation, dans l'affectation des aides
        budgétaires (ou des fonds de contrepartie de l'aide financière), il n'existe aucune
        politique française définie, ni active, ni incitative, de réduction de la pauvreté des
        personnes à travers l'outil financier. Ceci est d'autant plus vrai que, jusqu'à une date
        récente, cette aide répondait principalement à une logique d'affectation, et non de
        conditionnalité, et qu'elle s'inscrit, depuis 1993, pour les programmes d'ajustement,
        dans le sillage des conditionnalités du Fonds Monétaire International et de la Banque
        Mondiale. L'aide financière française se partage, pour l'essentiel, entre le traitement
        de la dette (Club de Paris, attentif à la situation des pays les plus pauvres, non
        à celle des individus les plus pauvres), à hauteur de 40% du total en 1992, les
        aides budgétaires (25% du total), accordées de manière ad hoc par les autorités
        françaises - en général en dehors de toute convention - et les concours à l'ajustement
        structurel (20%). Aucun de ces trois instruments n'a introduit de conditionnalité en
        matière de lutte contre la pauvreté. 
        Les concours à l'ajustement structurel, outre les cofinancements de programmes
        multilatéraux, alimentent certains programmes bilatéraux d'ajustement, préparés de
        manière tripartite par le Ministère de l'Economie, le Ministère de la Coopération et
        la Caisse Française de Développement, et exécutés dans le cadre d'une convention avec
        le pays receveur. Jusqu'en septembre 1993, ces concours (généralement affectés à des
        dépenses budgétaires ou des programmes d'appui) débouchaient rarement sur des
        conditionnalités autres que techniques. Depuis, ils ne peuvent concerner que les pays
        signataires d'un accord avec les institutions de Bretton-Woods, ce qui en accroît la
        conditionnalité macro-économique, mais non point la dimension sociale. En dehors des
        revues de dépenses publiques, ils ne font pas l'objet d'une évaluation régulière quant
        à leurs résultats. Leur impact sur la pauvreté n'est donc pas appréhendé.  
         
        4. La réduction de la pauvreté à travers l'aide projetIl n'existe aucun
        mécanisme général, ni dans la conception, ni dans l'exécution, ni dans l'évaluation
        des projets, visant à intégrer la lutte contre la pauvreté comme composante et objectif
        de ceux-ci. L'aide française dispose toutefois de programmes ciblés en direction des
        populations vulnérables tels que les financements décentralisés de la Caisse Française
        de Développement, en faveur de petites entreprises et de ménages pauvres, ou le Fonds
        Social de Développement. Ces programmes méritent d'être présentés dans la mesure où
        ils visent effectivement des groupes cibles et des populations vulnérables et où ce sont
        les seuls à avoir été retenus par la Caisse Française comme relevant explicitement de
        la lutte contre la pauvreté. 
        4.1 - L'aide aux initiatives productives de base (AIPB)
        Mis en place en 1986 par la Caisse Française de Développement, ce programme n'a sans
        doute pas pour objet unique la réduction de la pauvreté mais il répond efficacement aux
        besoins des micro-entreprises urbaines ou rurales, vivier des emplois et des petites et
        moyennes industries de demain, qui ne trouvent pas à se financer auprès du secteur
        bancaire en raison de leur appartenance au secteur informel. Ce dispositif très
        décentralisé et qui cherche à s'adapter aux particularités locales, offre à des taux
        attractifs des prêts d'une durée allant de 2 à 7 ans et d'un montant variant de 20.000
        à 400.000 francs. Il a connu un fort développement en 1994, avec 243 projets financés,
        contre 169 en 93, pour un montant proche de 48 millions de francs, en augmentation de 25%
        par rapport à 1993.  
        Pourtant très en vogue ces dernières années, la difficulté et le coût du suivi par
        les agences de la Caisse Française de Développement d'une multitude de projets et les
        faibles taux de remboursement (65%) ont conduit, dans un premier temps, la Caisse
        française à rechercher des structures d'appui pour le suivi des opérations, trop
        coûteux en temps pour ses agences locales, puis à remettre en cause la poursuite de ce
        programme.  
        4.2 - Les systèmes financiers décentralisés
        Face à l'effondrement des banques de développement, la frilosité des banques locales
        et la place occupée par les tontines et l'usure, le Ministère de la Coopération et la
        Caisse Française de Développement ont implanté, particulièrement en milieu rural, des
        systèmes de financement de proximité en direction de ménages pauvres avec l'aide
        d'opérateurs locaux. Entre 1987 et 1994, ils ont engagé quelques 330 millions de francs
        pour financer une vingtaine de projets en ce sens. Les acquis obtenus en milieu rural ont
        été mis à profit depuis quelques années pour lutter contre la pauvreté urbaine à
        l'aide de prêts aux ménages pauvres. Deux types de systèmes ont été développés: le
        crédit mutuel, fondé sur l'épargne préalable, et le crédit solidaire, où quelques
        personnes empruntent solidairement. En s'appuyant sur des ONG relais et des opérateurs
        sur le terrain, filiales d'institutions françaises de crédit, la Caisse Française a
        développé avec succès cette formule en Afrique. Mais la généralisation de ces
        systèmes encore fragiles se heurte actuellement aux contraintes institutionnelles (lois
        bancaires) et techniques (taux élevés pour de très petits prêts à très court terme)
        afférentes à ce type de crédits. Le Ministère de la Coopération cherche à les
        consolider à travers des instruments de gestion susceptibles de les rendre autonomes et
        financièrement viables à long terme. A cette fin, il s'est doté en 1991, aux côtés de
        la Caisse Française de Développement, d'un instrument de réflexion, de concertation et
        d'appui institutionnel, le PRAOC (programme régional d'appui aux opérations d'épargne
        crédit décentralisées).  
        4.3 - Le Fonds Social de Développement
        Initié en 1994 comme "Fonds Spécial de Développement" destiné à
        l'accompagnement social de la dévaluation (filet social), ce programme a été doté,
        pour la première année, d'une enveloppe de 400 millions de francs provenant du
        Ministère de la Coopération et de la Caisse Française de Développement. Le rapport
        d'activité 1994/95 de la Coopération française dresse le bilan de cette première
        phase:  
        « Destiné à atténuer les effets négatifs immédiats de la dévaluation -
        hausse des produits importés, du coût de l'énergie et des transports, baisse du pouvoir
        d'achat des ménages, le FSD s'adresse en priorité aux populations les plus vulnérables.
         
        « Dès les six premiers mois, l'impact de cette opération conjoncturelle a
        été considérable. Elle a permis de conduire de nouvelles opérations de coopération
        fournissant des revenus immédiats aux populations les plus touchées par la dévaluation,
        notamment dans les quartiers urbains. Le dispositif même du FSD, qui relève à la fois
        du Fonds d'aide et de coopération et de la Caisse française de développement, a innové
        en créant un comité de gestion qui associe aux bailleurs (missions et agences) les
        représentants de l'Etat bénéficiaire. Ce fonds d'urgence, d'utilisation immédiate, est
        attribué sous forme de don à des associations, des collectivités locales, ou des
        partenaires économiques non étatiques qui proposent des projets ne dépassant pas deux
        millions de francs.  
        « En 1994, les opérateurs sont intervenus dans deux secteurs dominants:
        l'aménagement urbain et les besoins de base en formation et santé. Fortement
        encouragée, l'ouverture de chantiers d'intérêt public à haute intensité de
        main-d'oeuvre a permis la création de revenus temporaires notamment chez les chômeurs
        urbains. Les autres groupes soutenus par le FSD ont été les populations défavorisées,
        les jeunes, les femmes seules, les migrants, les malades, les orphelins du Sida, et les
        habitants des quartiers les plus pauvres dans les villes. Mais cette coopération de
        proximité s'est aussi adressée aux associations de parents d'élèves et aux groupes à
        potentiel économique: artisans, micro-entreprises, groupements de femmes »  
        Montant et répartition géographique du FSD en 1994 (première et deuxième tranche),
        en millions de francs.
        
          
            | Pays les moins avancés (PMA)  | 
            FSD-1  | 
            FAC  | 
            CFD  | 
            FSD-2  | 
            FAC  | 
            CFD  | 
            Total  | 
           
          
            |   | 
              | 
              | 
              | 
              | 
              | 
              | 
              | 
           
          
            | Sénégal  | 
            50  | 
            -  | 
            50  | 
            10  | 
            -  | 
            10  | 
            60  | 
           
          
            | Mali | 
            20  | 
            -  | 
            20  | 
            10  | 
            10  | 
            -  | 
            30  | 
           
          
            | Burkina Faso | 
            25  | 
            10  | 
            15  | 
            10  | 
            10  | 
            -  | 
            35  | 
           
          
            | Niger | 
            20  | 
            5  | 
            15  | 
            5  | 
            -  | 
            5  | 
            25  | 
           
          
            | Tchad | 
            10  | 
            5  | 
            5  | 
            6  | 
            6  | 
            -  | 
            16  | 
           
          
            | République Centrafricaine  | 
            5  | 
            -  | 
            5  | 
            3  | 
            -  | 
            3  | 
            8  | 
           
          
            | Bénin | 
            15  | 
            6  | 
            10  | 
            5  | 
            -  | 
            5  | 
            20  | 
           
          
            | Togo | 
            4  | 
            -  | 
            4  | 
            15  | 
            7,5  | 
            7,5  | 
            19  | 
           
          
            | Guinée équatoriale  | 
            5  | 
            5  | 
            -  | 
            2  | 
            -  | 
            -  | 
            7  | 
           
          
            | Comores | 
            3  | 
            -  | 
            3  | 
            2  | 
            -  | 
            -  | 
            5  | 
           
          
            | Total PMA  | 
            157  | 
            30  | 
            127  | 
            68  | 
            30,5  | 
            30,5  | 
            225  | 
           
          
            |   | 
              | 
              | 
              | 
              | 
              | 
              | 
              | 
           
          
            | Pays à revenu intermédiaire (PRI)  | 
            FSD-1  | 
            FAC  | 
            CFD*  | 
            FSD-2  | 
            FAC  | 
            CFD*  | 
            Total  | 
           
          
            |   | 
              | 
              | 
              | 
              | 
              | 
              | 
              | 
           
          
            | Cameroun | 
            40  | 
            40  | 
            -  | 
            10  | 
            10  | 
            -  | 
            50  | 
           
          
            | Congo | 
            20  | 
            20  | 
            -  | 
            10  | 
            10  | 
            -  | 
            30  | 
           
          
            | Côte d'Ivoire  | 
            42  | 
            42  | 
            -  | 
            10  | 
            10  | 
            -  | 
            52  | 
           
          
            | Gabon | 
            15  | 
            15  | 
            -  | 
            5  | 
            5  | 
            -  | 
            20  | 
           
          
            | Total PRI  | 
            117  | 
            117  | 
            -  | 
            35  | 
            35  | 
            -  | 
            152  | 
           
          
            |   | 
              | 
              | 
              | 
              | 
              | 
              | 
              | 
           
          
            | Divers | 
            3  | 
            3  | 
            -  | 
            -  | 
            -  | 
            -  | 
            3  | 
           
          
            |   | 
              | 
              | 
              | 
              | 
              | 
              | 
              | 
           
          
            | Total général (PMA + PRI + Divers)  | 
            277  | 
            150  | 
            127  | 
            103  | 
            72,5  | 
            30,5  | 
            380  | 
           
         
        * La répartition entre moyens du FAC et de la CFD procède de leurs vocations
        propres : en particulier, la CFD ne peut faire de dons aux PRI. La répartition
        privilégie les pays à forte population urbaine, dont la consommation est plus
        dépendante des importations.  
        Répartition des attributions du FSD par secteurs en 1994
        
          
            | secteurs | 
            montant en MF  | 
            montant en % du total  | 
           
          
            | rural | 
            4,9  | 
            2,0  | 
           
          
            | action économique  | 
            23,3  | 
            9,7  | 
           
          
            | urbain | 
            109,9  | 
            45,7  | 
           
          
            | éducation  | 
            39,1  | 
            16,3  | 
           
          
            | santé/médicaments - action sociale  | 
            62,0  | 
            25,8  | 
           
          
            | Total | 
            239,5  | 
            95,5  | 
           
         
        Sources : Ministère de la Coopération  
        « Laboratoire » d'une nouvelle coopération de proximité bénéficiant aux
        populations à travers des réalisations concrètes et rapides qui associent la société
        civile et les collectivités sur le terrain, le FSD a été reconduit en 1995 et
        pérénisé depuis sous la forme d'un « Fonds Social de Développement »,
        auquel les missions locales ont instruction de consacrer 15% du montant des programmes
        pays, ce seuil pouvant être dépassé avec l'accord de l'administration centrale. Ceci
        témoigne d'une prise de conscience que l'aide doit évoluer vers des projets
        participatifs, porteurs d'effets d'entraînement et répondant directement aux besoins des
        plus pauvres, souci que les crédits déconcentrés d'intervention (CDI), mis à la
        disposition des missions locales dans les années 1970 pour financer de manière
        déconcentrée des opérations de moins de un million de francs jusqu'à hauteur de 10%
        des programmes pays, ne semblent pas avoir pleinement intégré.  
         
        5. Autres canaux de la lutte contre la pauvretéDans une acception large, le
        développement local, l'appui à la décentralisation, la coopération décentralisée et
        l'appui à l'action des ONG relèvent de la lutte contre la pauvreté lorsqu'ils agissent
        sur la situation des plus démunis, même si leurs objectifs et priorités sont plus
        larges et si la lutte contre la pauvreté n'est pas nécessairement la préoccupation
        première. 
        5.1 - Le développement local
        Le développement local, en s'attachant à mettre en valeur les ressources d'un terroir
        par une organisation des infrastructures, des marchés, des filières, agricoles ou
        artisanales, met en oeuvre une forme participative de coopération en direction de
        communautés pauvres. Le rapport d'activité précité de la Coopération française en
        retrace le cheminement, à travers sa propre expérience en milieu rural:  
        « Les stratégies de développement rural, qui, jusque-là, privilégiaient
        l'approche "gestion de terroirs", centrée sur la mise en valeur du patrimoine
        naturel (agriculture, élevage, exploitation des forêts), ont évolué, ces dernières
        années, vers une approche plus globale en faveur d'un "développement local".
        Celui-ci s'efforce d'associer les communautés rurales à l'ensemble du développement de
        leur région.  
        « Pour répondre à cette nouvelle orientation, le ministère de la
        Coopération soutient la structuration de la société rurale en Afrique en appuyant,
        notamment, la maîtrise d'ouvrage de projets villageois (aménagements fonciers,
        équipements sociaux...). Il contribue également à la mise en place de systèmes de
        financement décentralisés, qui permettent une gestion et des prises de décision au
        niveau local ».  
        Le développement local recherche donc la participation des populations concernées à
        la conception et la mise en oeuvre des projets qui engagent leur avenir. Cette forme
        participative de coopération pourrait s'appuyer utilement sur des collectivités
        responsables aux représentants élus - à la fois opérateurs locaux et interfaces entre
        les bailleurs et les populations - dans le cadre d'une décentralisation administrative
        des institutions africaines.  
        5.2 - La décentralisation
        Depuis 1993, la Coopération française a donné au développement local une dimension
        institutionnelle en lançant un programme novateur et ambitieux de décentralisation pour
        l'Afrique. Ce programme vise à doter les communautés de nouvelles institutions
        territoriales décentralisées, élues et rendues financièrement autonomes à l'aide
        d'une réforme fiscale. Ces institutions élues et responsables joueraient ainsi un rôle
        de catalyseur pour promouvoir le développement local, le respect des droits des
        personnes, la prise en compte des intérêts des minorités et, partant, la lutte contre
        la pauvreté.  
        Devenue un thème institutionnel majeur de la réflexion française sur le
        développement en Afrique, la décentralisation est actuellement perçue par le ministère
        de la Coopération comme une réponse à la nécessité de redéfinir le rôle de l'Etat,
        d'asseoir la démocratie sur des fondements concrets et d'accroître la participation des
        citoyens au processus de développement. Après y avoir consacré des moyens humains et
        une enveloppe de l'ordre de six millions de francs en 1994, le ministère résume ainsi
        les enjeux du développement municipal, dans son rapport d'activité précité:  
        « La décentralisation devrait alors permettre de dynamiser le développement
        économique local. Malgré la situation actuelle de crise, qui marque l'échec d'un
        modèle économique qui donnait un rôle moteur à l'Etat, les municipalités africaines
        sont devenues l'un des principaux opérateurs du développement local.  
        « Par les marchés qu'elles lancent, les impôts et les taxes qu'elles
        prélèvent, leur capacité à mobiliser les acteurs locaux, leur capacité d'emprunt,
        elles pourraient influencer de façon positive le devenir économique de la région. Pour
        autant, il ne s'agit pas d'imposer un modèle "par le haut", de transférer au
        niveau local les pratiques de gestion opérées au niveau de l'Etat, ni d'épouser les
        schémas occidentaux.  
        « L'appui au processus de décentralisation privilégie une vision "à la
        base" qui pose la question des besoins locaux (quels services aux populations, quels
        moyens humains et financiers pour les organiser?) et de l'appropriation des collectivités
        locales par les sociétés africaines ».  
        Pour promouvoir une véritable « culture communale » en Afrique au travers
        d'actions de formation, d'échanges d'expérience et de travail en réseau des acteurs
        africains, le ministère de la Coopération souhaite s'appuyer sur la coopération
        décentralisée, celle-ci s'entendant de l'aide directe apportée par les collectivités
        territoriales françaises à leurs partenaires des pays en développement.  
        5.3 - La coopération décentralisée
        La coopération décentralisée apparaît, en effet, comme l'un des moyens de favoriser
        la décentralisation, à travers des actions de formation, d'expertise, d'aide à la
        réflexion et au montage de projets par les collectivités du Nord auprès de leurs
        partenaires ou homologues africains. Ces collectivités françaises soutiennent également
        la relance économique en Afrique à travers le partenariat industriel, l'appui à
        l'organisation, la gestion ou la maintenance des entreprises et la promotion d'outils
        techniques, notamment de services. Elles peuvent ainsi être amenées à jouer un rôle
        non négligeable dans le recul de la pauvreté à l'échelon local. Trois formes
        principales de coopération ont été développées: les jumelages communaux, marqués par
        une dimension d'échanges et de relations humaines, la coopération urbaine, qui permet
        notamment d'appuyer la gestion des services et des infrastructures, et la coopération
        pour le développement d'activités économiques, qui repose avant tout sur la recherche
        d'intérêts réciproques, tels la création d'entreprises locales ou le partenariat
        industriel.  
        Le Ministère de la Coopération et le Ministère des Affaires Etrangères appuient
        financièrement ces différents projets jusqu'à hauteur de 50%, pour des montants ayant
        atteint respectivement 28 et 25 millions de francs en 1995. La Coopération française
        soutient également l'action des collectivités territoriales françaises en Afrique à
        travers des contrats de plan, des conventions cadre et le dialogue d'Etat à Etat.  
        5.4 - L'appui aux ONG
        Malgré son caractère encore limité, l'appui aux organisations non gouvernementales
        (ONG) doit être évoqué en raison du rôle de ces institutions dans la lutte contre la
        pauvreté. La part de l'aide française destinée à subventionner les ONG (variant de 0,2
        à 0,4%, contre une moyenne oscillant entre 1,2 et 2% pour les pays du CAD) place la
        France au quinzième rang des dix-huit pays de l'OCDE. Toutefois, une tendance au
        renforcement de cet appui se dessine: en 1995, une augmentation de 30% des crédits
        alloués aux ONG a été programmée par la Coopération française, laquelle a annoncé
        un objectif de 10% du FAC exécuté par les ONG (contre 5,9% actuellement pour l'appui direct
        aux ONG). En outre, les synergies entre les ONG et les pouvoirs publics se renforcent, à
        travers une participation des ONG aux commissions mixtes et la création, en 1983, d'une
        « Commission coopération développement », chargée d'assurer un dialogue
        permanent inter-institutions et comprenant, depuis 1995, un « comité paritaire de
        programmation », destiné à mettre en oeuvre une programmation conjointe des
        interventions du secteur non gouvernemental. Sur un total de 49,1 millions de francs en
        1994, l'éducation, la santé, les secteurs sociaux, le développement rural, vecteurs
        privilégiés de la lutte contre la pauvreté, totalisent 60% des financements FAC aux
        ONG, comme le souligne le tableau ci-après, extrait du rapport d'activité de la
        Coopération française:  
        Répartition des cofinancements auprès des ONG au titre du FAC 1994  
        
          
            | Domaines | 
            Crédits FAC en %  | 
           
          
            | Education au développement  | 
            12,4  | 
           
          
            | Santé | 
            15,9  | 
           
          
            | Social | 
            5,1  | 
           
          
            | Economique (commerce, artisanat, entreprises, énergie...)  | 
            13,4  | 
           
          
            | Rural (agriculture, pêche, forêt, environnement...)  | 
            26,5  | 
           
          
            | Formation professionnelle - Enseignement  | 
            17,0  | 
           
          
            | Autres | 
            10,7  | 
           
          
            | Total | 
            100  | 
           
         
        Source: Ministère de la Coopération  
         
        6. ConclusionDu point de vue de la pauvreté l'aide française apparaît
        spécifique: la pauvreté n'est affichée comme priorité concrète dans aucune
        institution d'aide; elle n'est pas intégrée aux processus de programmation ni
        d'évaluation; elle ne fait l'objet d'aucune stratégie propre ou politique définie; elle
        n'apparaît ni comme un concept de développement, ni comme un objet statistique, ni comme
        un critère d'attribution de l'aide. Enfin, selon les institutions internationales, la
        part de l'aide française totale affectée aux besoins prioritaires du développement
        humain est faible. Les raisons de cette spécificité peuvent être recherchées dans
        trois directions principales. 
        Une première raison est d'ordre « philosophique » ou sémantique.
        En effet, la conception française rapproche bien souvent « pauvreté » et
        « indigence ». Les pauvres deviennent ainsi ceux qu'il faut aider par devoir
        de solidarité, abstraction faite des particularités circonstancielles qui expliquent la
        situation de précarité et des possibilités d'évolution individuelles qui permettraient
        d'en sortir durablement. Dans cette conception, qui repose aujourd'hui plus sur une notion
        "d'évidence" admise, que sur une réflexion approfondie et vérifiée, la
        pauvreté n'est pas perçue comme un phénomène à part, obéissant à des lois
        spécifiques, évolutif et sur lequel on peut agir directement, mais plutôt comme un
        état, relativement durable, qui s'origine dans « le sous-développement » en
        général et procède de causes multiformes. Il n'y a donc pas lieu, dans cette approche,
        d'élaborer une stratégie propre (à l'instar de la stratégie pour la survie de
        l'enfant, mise en place, dans un autre domaine, par James P. GRANT à l'UNICEF et fondée
        sur quatre programmes prioritaires) pour juguler des mécanismes de pauvreté clairement
        identifiés. Une telle stratégie apparaîtrait, sinon utopique, du moins peu
        opérationnelle en termes d'efficacité économique et sociale et peu rationnelle d'un
        point de vue stratégique parce qu'elle agirait de manière palliative, c'est-à-dire sur
        les symptômes de la pauvreté et non sur ses causes, multiformes et identifiées au
        sous-développement. L'approche française débouche donc sur une réponse sectorielle
        limitée - agir sur quelques formes de précarité bien connues par des programmes ciblés
        ayant fait leurs preuves - et privilégie l'action transversale en faveur du
        développement, jugé seul capable de relever le défi de la pauvreté, à l'exclusion de
        toute stratégie organisée. C'est ainsi qu'il faut comprendre la position française
        exprimée dans le memorandum présenté au CAD pour l'exercice 1992:  
        «  En tout état de cause, l'ensemble des projets engagés et soutenus par
        l'aide publique au développement française concourent, d'une manière ou d'une autre, à
        la réduction de la pauvreté ».  
        Dès lors, l'idée, développée notamment par la Banque mondiale, selon laquelle la
        mise en valeur de la capacité productive des pauvres permettrait de relever le double
        défi de la lutte contre la pauvreté et de la croissance apparaît largement absente des
        réflexions françaises.  
        La seconde raison est liée à l'histoire: l'aide française reste largement
        dominée par les relations d'Etat à Etat, auxquelles sont réservés plus des trois
        quarts de l'aide publique bilatérale.  
        En premier lieu, ces liens spéciaux rendent largement caduque la question de la
        répartition géographique de l'aide en fonction d'un critère de pauvreté: la priorité
        africaine permet ipso facto d'en affecter une grande partie aux PMA.  
        En deuxième lieu, ils ont fait de l'aide française l'héritière d'une
        « coopération de substitution » - née des Indépendances et marquée par une
        assistance technique forte et des interventions éparses là où la capacité nationale
        faisait défaut - qui n'a pas achevé sa mutation vers la « coopération de
        partenariat », fondée sur l'autonomie et la responsabilité des pays receveurs et
        privilégiant le renforcement des capacités nationales.  
        Le manque de priorités claires, de stratégie en général, de coordination avec les
        autres donateurs sur le terrain en vue d'une définition et d'une gestion communes des
        politiques et des programmes décentralisés, la dispersion des interventions et une
        coopération où la dimension culturelle est forte et les relations bilatérales sont
        privilégiées apparaissent ainsi comme le résultat de l'histoire et de ces liens
        particuliers d'Etat à Etat. Or, la lutte contre la pauvreté va au-delà des logiques
        d'Etats. Centrée sur l'individu, elle appelle certes le concours actif des pouvoirs
        publics, mais aussi une stratégie coordonnée des acteurs du développement, une
        démarche participative de la société civile, impliquant des opérateurs locaux,
        générant des effets structurants et demandant du temps. La prise de conscience
        française en faveur de la « coopération de proximité » témoigne bien d'une
        évolution de pensée et d'action vers cette approche participative. Mais cette évolution
        demeure lente et encore limitée, la lutte contre la pauvreté ne mobilisant, en France,
        selon les organisations internationales, qu'une faible part de l'aide totale - et de la
        réflexion.  
        Un dernier motif du manque de mobilisation autour du thème de la pauvreté est d'ordre
        statistique, l'orientation géographique de l'aide française renforçant la
        difficulté de la définition et la mesure de la pauvreté pour les institutions qui
        gèrent cette aide. En effet, l'élaboration d'une stratégie et d'un suivi de la
        pauvreté impliquerait l'identification de groupes-cible, la construction d'indicateurs
        sociaux, de revenus, de redistribution. Il faudrait disposer d'une information statistique
        fiable, pertinente et suivie sur la pauvreté dans ses différents aspects. Or, outre de
        l'isolement fréquent des populations vulnérables, les pays ACP, bénéficiaires de la
        majeure partie de l'aide française, souffrent d'importants retards dans leurs systèmes
        d'information. La Coopération danoise (dans un rapport de mars 1995, préparé par le
        Centre de Recherche en Développement et portant sur l'ajustement structurel) estime ainsi
        qu'en Afrique la distribution des revenus n'est renseignée avec certitude et régularité
        que pour 6% de la population (contre 55% en Amérique latine et 95% en Asie), ce qui
        paraît exclure pour le moment toute analyse et tout suivi pertinents de la pauvreté et
        de ses mécanismes, sauf à utiliser et relancer les travaux conduits à cette fin dans le
        cadre de la Dimension Sociale de l'Ajustement (DSA). Or, ce programme conjoint du PNUD et
        de la Banque mondiale, dans lequel la France ne s'est jamais sérieusement impliquée ces
        dernières années, ne semble pas avoir débouché, à ce jour, sur des résultats
        concluants. Dans ces conditions, le renforcement effectif du système d'information en
        matière de pauvreté apparaît comme un objectif préalable à la mise en oeuvre de
        stratégies efficaces et suivies de lutte contre la pauvreté en Afrique et, partant, à
        une évolution de la position de l'administration française sur ce thème majeur du
        développement. Pour les pays de l'UEMOA (Union Economique et Monétaire Ouest Africaine),
        il est à espérer que l'institution du système de surveillance multilatérale des
        politiques macro-économiques prévu au traité de l'Union, laquelle portera notamment sur
        la répartition des revenus, permettra, à terme, la réalisation de cet objectif.  
         
        Mise à jour: 24 février 1997 
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